Le 15 août 2009, Le pouvoir politique en Tunisie a repris, illégalement et par la force, le contrôle du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT), rétablissant son emprise sur une corporation professionnelle qui a osé clamer ouvertement sa volonté d’indépendance et d’autonomie et qu’il essaie, depuis un an et demi, de ramener dans son giron.
Le faste tapageur et l’organisation bien huilée dans lesquels se sont déroulés les travaux du congrès extraordinaire du SNJT, le 15 août 2009 à Tunis, et les moyens énormes qui ont été mobilisés aux plans logistique, financier, matériel et humain contrastent singulièrement avec la situation de dénuement que vit actuellement ce syndicat dont les ressources financières ne lui permettent même pas de payer les salaires de ses trois employés permanents.
C’est la preuve irréfutable que ce ne sont pas les journalistes tunisiens qui ont organisé ce congrès mais bien le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), parti au pouvoir, qui a détrôné le bureau exécutif légitime et placé à la tête de ce syndicat une équipe fantoche dont tous les membres sont à sa solde et qui est dirigée par le conseiller politique du secrétaire général du parti.
Voici, ci-après, à l’intention de tous les amis du SNJT et de tous les défenseurs des libertés syndicales et des droits d’expression et d’association, une chronique détaillée du processus qui a abouti à la domestication de cette structure syndicale.
Le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) a été créé le 13 janvier 2008. Il a remplacé l’Association des Journalistes Tunisiens (AJT), fondée en 1962. Une association qui a connu son âge d’or durant les années 70 et 80 et qui est devenue, depuis le début des années 90, une sorte de cellule politique du parti au pouvoir, le RCD.
Depuis sa création et l’élection de son premier bureau directeur, composé à majorité d’indépendants, le nouveau syndicat a été la cible d’un véritable complot orchestré par le RCD et le gouvernement, aidés par une poignée d’opportunistes, de manipulateurs et de serviteurs zélotes du pouvoir, qui n’ont pas accepté la règle du jeu et n’ont pas digéré leur défaite lors du congrès constitutif.
Depuis janvier 2008, le pouvoir n’a cessé de multiplier les embûches, les machinations et les magouilles pour discréditer le syndicat et pour l’empêcher d’accomplir sa mission et de réaliser le moindre acquis en faveur des journalistes :
Tout a commencé par une volte-face du ministre de tutelle, qui a trahi ses promesses faites aux membres du bureau exécutif, qu’il a reçus en février 2008. Ces promesses concernent la régularisation de la situation administrative d’agents temporaires travaillant à l’établissement de la radio et de la télévision tunisiennes (ERTT). Un vieux dossier qui traîne depuis plus d’une dizaine d’années et que l’Association des Journalistes Tunisiens n’était pas parvenue à résoudre.
Prétextant d’un Sit In symbolique organisé pendant quelques heures par un groupe de journalistes de la radio et de la télévision au siège du Syndicat, le ministre de tutelle a décidé, unilatéralement, de rompre tout contact avec le SNJT.
Le 3 mai 2008, à la suite de la publication par le Syndicat de son premier rapport annuel sur la liberté de la presse en Tunisie, une vaste campagne de dénigrement, de calomnies et de lynchage est lancée dans les médias publics et privés contre les membres du bureau exécutif, qualifiés d’agitateurs, de nostalgiques et d’immatures.
Bien qu’il soit le syndicat le plus représentatif des journalistes avec plus de 800 adhérents, contre 250 seulement pour l’UGTT, le SNJT a été, ensuite, écarté injustement, des négociations sociales sur la révision de la convention collective de la presse.
Le pouvoir a, aussi, mis tout en œuvre pour étrangler financièrement le SNJT. Le fonds d’entraide et de solidarité entre les journalistes, que le syndicat croyait avoir hérité de la défunte Association des Journalistes Tunisiens, s’est constitué, tout de suite après le congrès, en structure autonome et indépendante du Syndicat. Il a même changé de local. Des fonds importants lui ont été alloués dans l’objectif d’en faire un contrepoids au Syndicat à travers l’octroi aux journalistes de certains avantages matériels (ordinateurs portables, prêts logement, etc.)
Dépourvu de toute ressource financière, le Syndicat, qui n’a reçu, depuis sa création, aucune subvention de l’Etat, a été, de surcroît, sommé de payer une amende de 26 mille dinars à titre de cotisations sociales impayées par la défunte AJT. En somme, le Syndicat n’a hérité de l’AJT que le passif !
En juillet 2008, le parti au pouvoir a sorti, comme il le fait depuis une vingtaine d’années, son artillerie lourde pour faire main basse sur le SNJT. Au cours d’élections menées au pas de charge (mobilisation de tous les moyens matériels et humains à la disposition des entreprises de presse, publiques et privées), le RCD parvient à placer tous ses agents à la tête des commissions permanentes qui constituent l’ossature du bureau exécutif élargi, rétablissant ainsi son hégémonie totale sur le Syndicat, ressuscitant, en quelque sorte, la défunte AJT.
En octobre 2008, lors de la première réunion ordinaire du bureau exécutif élargi, certains membres de ce bureau ont tenté de faire adopter un document déchargeant le ministre de tutelle de toute responsabilité concernant le dossier de l’ERTT et accusant les membres du bureau exécutif d’avoir failli à leur mission sur cette affaire. Un véritable déni infligé à la solidarité syndicale et au bon sens tout court ! Ce fut la première tentative de putsch contre l’instance dirigeante du SNJT.
Au cours de cette même réunion, les membres du bureau exécutif élargi, proches du pouvoir, ont essayé d’imposer par la force, et sur instigation du parti, que le syndicat soutienne la candidature du Président Ben Ali à l’élection présidentielle de 2009, alors que la majorité du bureau exécutif était favorable à une position de neutralité à l’égard de tous les candidats.
A partir de fin 2008, les évènements vont s’accélérer. Il ne se passera plus une semaine sans qu’un communiqué ne soit rendu public par un groupe de 17 membres du bureau exécutif élargi, en violation flagrante des statuts et du règlement intérieur du Syndicat. Des communiqués qui n’ont absolument rien de légal, qui ne portent ni l’en-tête ni le cachet du Syndicat et qui sont faxés à partir de cabinets officiels à des journaux qui, obéissant à des consignes, s’empressent de les publier, sans se soucier de donner à l’instance dirigeante officielle et légitime le moindre droit de réponse.
Les évènements affligeants ayant marqué la présentation, le 4 mai 2009, du 2ème rapport du syndicat sur la liberté de la presse sont édifiants et éloquents. Un membre du bureau exécutif élargi, président de la commission de déontologie est allé jusqu’à molester le président du Syndicat. Les masques sont réellement tombés et aucun doute n’est plus permis sur la détermination farouche du pouvoir à se débarrasser d’une structure qu’il juge comme étant rebelle. Des pressions sont alors exercées sur des membres du bureau exécutif pour les amener à démissionner. Des journalistes sont harcelés sur leurs lieux de travail, menacés et contraints de signer une motion de défiance contre l’instance légitime de leur Syndicat.
Ces pressions ont fini par donner leurs fruits : quatre membres du bureau exécutif, composé de 9 membres, ont fini par démissionner, entraînant ainsi une vacance au sein de la direction du Syndicat, nécessitant statutairement la convocation d’un congrès extraordinaire et l’élection d’un nouveau bureau.
En violation flagrante des statuts et du règlement intérieur du Syndicat, qui énoncent, notamment, que seul le Président du Bureau exécutif est habilité à convoquer une réunion du bureau élargi, le groupe des 17 membres de ce bureau se sont mis à multiplier les bavures et les infractions.
Faisant la sourde oreille à tous les appels à la conciliation et à l’unité et à tous les bons offices engagés par différentes parties dont, notamment, la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), les membres du bureau élargi sont allés jusqu’à prononcer la dissolution du bureau exécutif, constituer un comité préparatoire du congrès extraordinaire et fixer unilatéralement une date pour ce congrès (le 15 août), bien que les statuts stipulent que c’est le bureau exécutif sortant qui doit continuer à gérer les affaires courantes jusqu’à l’élection d’un nouveau bureau.
Le bureau exécutif légitime a alors décidé de se conformer scrupuleusement aux statuts du Syndicat. Il a fixé au 12 septembre 2009 la date du congrès extraordinaire, introduit un recours en référé pour invalider la date du 15 août et intenté une action en justice sur le fonds de l’affaire qui sera examinée le 26 octobre 2009.
Malgré la solidité du dossier et les multiples vices de forme et de procédure qui ont été soulevés par une cinquantaine d’avocats, qui se sont constitués en comité de défense du Syndicat, le tribunal de première instance de Tunis a rejeté la requête en référé et rendu, le 14 août, un jugement défavorable au bureau exécutif légitime, donnant ainsi le feu vert au pouvoir pour accomplir son putsch et rétablir sa domination et son hégémonie sur une corporation devenue, à ses yeux, récalcitrante et rebelle.
Le SNJT n’est, malheureusement, pas la première structure de la société civile à subir ce genre d’injustice. Avant lui, le même scénario a été joué et rejoué contre la Ligue Tunisienne de Défense des Droits de l’Homme (LTDH), l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) et l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET).
* Ce texte a été rédigé par les membres du bureau exécutif du Syndicat National des Journalistes Tunisiens, légitimement élu en janvier 2008.
Source: Nawaat
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire