Gros Plan sur Nejiba Hamrouni (Tunisie-SNJT)
« Beaucoup de journalistes ont peur mais aspirent à un syndicat vraiment libre et indépendant »
Bruxelles, le 15 octobre 2009 (CSI En Ligne) : Trésorière du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et membre du conseil du genre de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), Nejiba Hamrouni expose les violations de la liberté de la presse qui frappent les médias et les journalistes tunisiens(1).
Comment résumer l’état de la liberté de la presse en Tunisie aujourd’hui ?
C’est simple, on ne peut pas écrire ni publier librement. Des journaux sont régulièrement interdits de parution, des sites internet sont bloqués, des journalistes sont harcelés, empêchés de travailler, mis sur écoute, arrêtés, traduits en justice, parfois physiquement malmenés.
C’est d’ailleurs l’exposition publique de ces violations de la liberté de la presse qui a valu à votre syndicat de plonger dans la crise qu’il connait actuellement ?
En effet, pour notre syndicat créé en 2008 les problèmes ont commencé suite à la publication le 4 mai 2009 d’un rapport sur l’état de la liberté de la presse en Tunisie qui décrivait ces problèmes rencontrés par les médias et les journalistes. Les autorités n’ont pas apprécié que soit exposée cette réalité et elles ont déclaré une guerre au syndicat qui n’a pas cessé depuis lors. Un des anciens membres du syndicat, qui entretemps est devenu le président d’un nouveau syndicat instigué par le pouvoir pour nous contrer, et qui assure en même temps les fonctions de conseiller du secrétaire général du parti au pouvoir, a de son côté présenté à l’agence de presse gouvernementale TAP un document présentant la Tunisie comme le paradis de la liberté de la presse. Mais notre syndicat a alors présenté lors d’une conférence de presse notre rapport qui expose la situation réelle. Les forces de l’ordre sont violemment intervenues durant la conférence de presse. On a compris qu’un pas supplémentaire venait d’être franchi dans la guerre que mène le pouvoir contre la liberté de la presse.
Comment un second syndicat s’est-il alors créé ?
Trois membres du syndicat, puis un quatrième dans un second temps, on démissionné. A nos yeux, dans un pays où 80% des journalistes dépendent d’organes de presse publics et sont en permanence soumis au chantage à l’emploi, il est facile pour les autorités de faire pression sur les journalistes. Le 15 août, en violation de la loi sur la presse tunisienne ainsi que du règlement interne au syndicat, ces démissionnaires ont organisé un congrès « putchiste », avec le soutien massif de l’Etat pour le matériel comme les banderoles et les affiches, ou encore pour avoir évidemment une large couverture des médias officiels. Malgré les pressions exercées sur les journalistes par les patrons de presse inféodés au pouvoir, le quota de deux tiers des journalistes affiliés n’a pas été atteint. Ce Congrès a néanmoins été avalisé par les autorités. On a introduit plusieurs recours pour stopper la procédure, mais, alors que la légalité est pour nous, nous n’avons pas eu gain de cause jusqu’à présent. Nous attendons encore un jugement le 26 octobre.
Puisque statutairement, la démission de quatre membres du syndicat induit l’obligation d’organiser un congrès extraordinaire, notre président a accepté d’organiser ce congrès à la date du 10 septembre. Mais les autorités ne veulent pas de l’organisation d’un congrès extraordinaire légitime, avec le risque d’assister encore une fois à l’élection de journalistes favorables à la liberté de la presse. On est d’accord d’aller aux urnes en congrès, mais la partie « putchiste » ne répond pas. Nous, on a confiance dans les journalistes tunisiens qui en ont marre de ce climat de peur et de négation des libertés de presse. Ils nous disent discrètement qu’on doit continuer à lutter pour un syndicat vraiment libre et indépendant, et nous allons continuer.
Quelles ont été les étapes de votre parcours syndical ?
En commençant dans la profession de journaliste, je me suis affiliée en 1996 à l’association des journalistes tunisiens. J’ai travaillé huit ans pour le quotidien tunisien As-Sabah puis en 2004 je suis devenue rédactrice en chef du bulletin d’information du centre de recherche et de formation pour les femmes arabes Qawtar. En 2006, j’ai été élue présidente du comité des femmes. Lors de la création du premier syndicat de journalistes début 2008, je me suis présentée et j’ai été élue secrétaire générale adjointe chargée des libertés de la presse. Avec la crise et les démissions de trois membres du syndicat, on a restructuré nos fonctions et je suis devenue trésorière. Vu les problèmes financiers que connaissent le syndicat qui ne fonctionne que sur base des cotisations des membres pour payer les quatre permanents et payer toutes les factures de frais de fonctionnement, c’est une priorité d’assurer la trésorerie. Le manque de moyens, c’est un obstacle aussi aux droits syndicaux et à la liberté de la presse.
Vous n’avez pas peur aussi ?
On est bien conscient qu’au-delà de ce « putch » syndical, les autorités veulent continuer à nous punir. J’ai déjà été convoquée trois fois devant la brigade économique. Ils m’accusent de m’être servie dans la caisse ! Dieu merci, toute la comptabilité est en ordre, à un centime près. Mais je sais très bien que c’est un problème politique, qu’ils peuvent trouver n’importe quel prétexte pour nous mettre en prison, pour museler les journalistes. C’est un combat très usant.
En tant que femme, votre combat comporte-t-il des difficultés spécifiques ?
Dans la loi, l’égalité entre hommes et femmes est totale en Tunisie. Depuis 1956, nous bénéficions d’une législation très avancée en la matière. Hommes et femmes, on souffre tout autant de ces problèmes de liberté de la presse. Mais il existe un décalage entre l’égalité dans la loi et les mentalités. Par exemple, on va te confier plus facilement les pages sur les femmes, la famille, le social, que la politique ou l’économie, il faut se battre pour convaincre. Par exemple, sur papier, 65% des postes de décision à la télévision publique tunisienne sont détenus par des femmes, ce dont les autorités sont très fières. Mais ce n’est pas parce que ces femmes ont le titre qu’elles ont le pouvoir de décision réel. On peut avoir le titre de rédactrice en chef sans l’être vraiment !
Et quelle est la place des femmes dans votre syndicat ?
Sur le plan syndical, la proportion de femmes aux postes à responsabilité est très avantageuse, meilleure qu’en Europe, avec des vrais postes clés occupés par des femmes(2).
Quelle est l’importance donnée par les médias tunisiens à l’actualité sociale et syndicale ?
On couvre le social, il n’y a pas d’obstacle direct. Mais comment aller au fond des sujets sociaux comme des sujets qui touchent aux syndicats sans toucher les questions des droits de l’Homme ? C’est la ligne rouge à ne pas franchir, sinon c’est les problèmes assurés pour toi et pour ton journal. Dans le rapport que notre syndicat a publié au mois de mai sur la liberté de la presse, on demandait précisément à plus d’espace dans les médias pour une couverture en profondeur des droits sociaux.
Propos recueillis par Natacha David
(1) Voir le communiqué EnLigne de la CSI « Moyen-Orient : Les gouvernements durcissent la répression à l’heure où la crise économique frappe de plein fouet les emplois et les revenus », publié le 9 septembre 2009
(2) Selon les chiffres publiés par la FIJ , la proportion de journalistes tunisiennes à des postes de décision dans le syndicalisme est de 33%, soit la proportion la plus importante pour la région Moyen-Orient, Afrique du Nord et Iran (« Getting the balance right- Gender equality in journalism », IFJ, 2009
La CSI représente 170 millions de travailleurs au sein de 316 organisations affiliées nationales dans 158 pays. http://www.youtube.com/ITUCCSI
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